Culture

« Chaque quartier pourrait avoir son propre comedy club. »

Depuis une quinzaine d’années, les comedy clubs fleurissent à Bruxelles.  Le stand-up s’ancre-t-il véritablement dans la capitale ?  Plongée un vendredi ordinaire dans cet univers particulier.

KINGS OF COMEDY CLUB & FRIDGE BRUXELLES – ©Jimmy Wajsblat

Pourquoi vient-on au comedy club ? On y vient pour rigoler, pour se détendre entre amis, entre collègues ou en famille. On y vient aussi pour manger et boire un verre.  On y vient surtout pour avoir une proximité inégalée avec une variété d’humoristes jeunes ou confirmés.  Sur scène, comme l’affirme l’humoriste Kev Adams, « on peut tout faire, tout essayer. »  Et dans la salle, on croise tous les publics.  Comme le dit Laurent Boschloos, directeur associé du Fridge, le dernier né des clubs bruxellois : « Des enfants de 9 ans sont déjà venus, ainsi que des personnes de 80 ans. » 

Côté ambiance, chaque lieu a son atmosphère.  Le Fridge propose un décor soigné, dont le style rappelle l’origine américaine du concept.  Le spectateur pénètre tout d’abord dans ce qui ressemble à un bar chic, à la lumière bleue tamisée.  Il écarte ensuite un rideau et se retrouve dans un deuxième espace dédié au spectacle et qui peut accueillir entre 120 et 140 personnes.  Les sièges sont confortables, répartis autour de petites tables rondes.  

Au Kings Comedy Club par contre, le bar est intégré à la salle, la déco plus rustique, avec ses murs de briques nues, et la capacité d’accueil est moitié plus modeste, comme la scène elle-même.  

Dans tous les cas, on est loin du concept de la cave intimiste qui caractérisait les anciens clubs des U.S.A. et de Paris.

Débutants ou confirmés ? 

Les clubs bruxellois accueillent quelques artistes débutants, comme Amadine Elsen ou Adel, mais aussi des humoristes plus renommés, comme Sarah Lélé, Sacha Ferra voire occasionnellement Gad Elmaleh ou Kev Adams lui-même… Tous ne sont pas belges francophones.  M. Boschloos l’affirme : « Il n’y en a pas assez.  Le secteur manque de soutien de la part de la Fédération Wallonie-Bruxelles. »  

Pourtant, quand on regarde autour de nous, on a parfois l’impression du contraire : les humoristes émergents, belges ou non, sont de plus en plus nombreux sur scène ou sur les réseaux sociaux. 

Comment sélectionne-t-on ceux qui ont la chance de faire du stand-up ?  Les grands comedy clubs fonctionnent par coups de cœur ou par recommandation. Les directeurs prospectent volontiers à Paris, où la scène est plus importante et le monde des clubs mieux implanté.  Le Fridge a en plus l’avantage de son réseau de clubs-frères, notamment à Rouen ou à Montpellier.  Même si Kev Adams, fondateur du Fridge, prétend que « n’importe qui peut ouvrir un club », il ne fait aucun doute que son nom contribue à attirer de nombreux candidats.

Une sélection en amont permet d’éviter la plupart des dérapages.  Comme le précise le patron du Kings, Cédric Vantroyen : « On ne fait pas de censure, mais on a une charte. On accepte toutes les blagues, à condition qu’elles soient drôles et aient un propos. Si une blague est juste transphobe ou antisémite sans aucune valeur humoristique, on se réserve le droit de ne plus programmer l’humoriste. Tous les artistes qui jouent ici signent cette charte. »

La charte en question brille par son second degré : « Toutes nos serveuses et humoristes sont spécialistes en krav-maga (sauf une).  Donc laisse-les toutes tranquilles. »

Comment réagit le public ?  Tous les artistes que nous avons rencontrés le confirment : une soirée n’est pas l’autre.  Certaines salles attirent un public plus « underground », local et sweat à capuche ; d’autres visent plus les 25-45 ans, venus parfois du Brabant wallon voisin, avec un meilleur pouvoir d’achat.  

Il faut préciser que, dans les grands clubs, on paie l’entrée, mais le public consomme en plus nourriture et boissons, ce qui entraîne des frais importants pour les jeunes ou les étudiants.  Cédric Vantroyen le précise : « On a essayé d’attirer les étudiants avec des tarifs réduits, mais ça n’a pas vraiment pris, sauf quand on fait venir des YouTubers. On a aussi remarqué qu’on a peu de minorités visibles dans le public, sauf quand un humoriste issu de la communauté maghrébine est programmé. »  Au Fridge, lorsqu’on demande qui assiste à son premier comedy club, environ 50 % des spectateurs lèvent la main.

Tendance durable ou non ? 

Le monde des comedy club est encore tout jeune à Bruxelles et, pour reprendre les mots de Kev Adams, « il est sous-développé. »  L’artiste explique : « On n’a pas encore assez de lieux de référence. »  De fait, le Kings, qui est presque le doyen, n’a que 13 ans, tandis que le Fridge a ouvert en novembre 2024.  « La plus grosse galère, d’après Cédric Vantroyen, a été de faire comprendre au public belge qu’il pouvait sortir un mardi soir avant 19h pour voir des humoristes qu’il ne connaît pas. La culture du comedy club n’existait pas ici en 2012, il a fallu l’implanter. Jusqu’en 2018, on a vraiment galéré, on a failli fermer plusieurs fois. »

A l’avenir, tous les patrons que nous avons rencontrés nous confirment leur ambition de s’étendre, soit en ouvrant tous les jours, soit en développant de nouvelles salles à Bruxelles ou ailleurs.

Mais y a-t-il vraiment de la place pour tous ces clubs ?  « Oui, affirme Laurent Boschloos, il y a encore beaucoup de place ! Bruxelles grandit et chaque quartier pourrait avoir son propre comedy club, comme une activité de proximité. On pourrait sans problème en voir émerger dix de plus. »  Cédric Vantroyen confirme : « Aujourd’hui on est quatre, dont deux qui sont nouveaux venus. On ne se marche absolument pas sur les plates-bandes, d’autant plus qu’on est éloignés géographiquement. »

Jimmy Wajsblat

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