PolitiqueTechnologie

MACRON FACE À L’IA : LA PARODIE POLITIQUE, UN OUTIL D’INFLUENCE ?

À l’occasion de la promotion du sommet sur l’IA, Emmanuel Macron a choisi de se prêter au jeu de la parodie pour promouvoir l’intelligence artificielle. Mais cette stratégie, à la fois humoristique et politique, soulève la question : l’usage de l’IA pour façonner l’image du président ne cache-t-il pas un outil puissant d’influence sur l’opinion publique ?

Afin d’approfondir le sujet, j’ai interrogé Marc Peeters, professeur de philosophie à l’Université Libre de Bruxelles, afin qu’il partage son point de vue sur les conséquences de ce phénomène et les risques éventuels associés à cette nouvelle manière de communiquer. 

« L’IA est fascinante, mais attention à ne pas en devenir les marionnettes » – Marc Peeters

Qu’en avez-vous pensé de la vidéo ?

La vidéo montre une forme d’instrumentalisation de Macron par l’intelligence artificielle, qui repose sur une grande maîtrise technique. Le résultat est étonnant, bien réalisé et même drôle, ce qui ouvre de nouvelles perspectives. L’IA semble d’une certaine manière parfaite, mais cela soulève des questions. Son usage en écriture, par exemple, est frappant : elle produit un français impeccable, sans fautes, ce que peu d’élèves sont capables de faire. Cela pose un problème de plagiat et d’appropriation intellectuelle, notamment dans certaines disciplines. En philosophie, la réflexion personnelle, le doute et la nuance sont essentiels, rendant difficile toute automatisation rigide du discours philosophique.

Quel est votre avis sur l’IA ?

L’IA est une question complexe, surtout pour les étudiants. Elle peut être un outil utile, à condition de rester un simple moyen d’information, comme Internet. Les craintes qu’elle suscite rappellent celles du web, souvent exagérées. Mais l’IA va plus loin : elle instrumentalise l’humain, ce qui est plus inquiétant. Ce pouvoir technologique, créé par l’homme, tend à le déshumaniser, en le réduisant à un simple outil économique. Cela creuse un fossé entre ceux qui maîtrisent la technologie et ceux qui en sont exclus, redéfinissant les classes sociales et menaçant l’humanité par son instrumentalisation.

Selon vous, pourquoi a-t-il choisi d’utiliser l’IA pour promouvoir le sommet à Paris du 10 au 11 février ?

Ce qui est pervers, c’est que la vidéo de Macron va au-delà de l’humour. Si c’était uniquement de l’humour, on pourrait imaginer que c’est positif, dans le sens où cela ne déshumanise pas. Mais il va plus loin, car ce n’est pas simplement une blague : il y a un message pragmatique, un peu « franchouillard » et centré sur l’Europe, qui sert bien ses intérêts politiques, il faut l’admettre. Ce qui est clair, c’est qu’il utilise sa propre image, déformée par l’humour, non seulement pour faire rire, mais aussi pour faire passer un message politique qui sert sa propre gloire. C’est un excellent coup politique, mais l’utilisation de l’humour pour manipuler l’image publique est un terrain délicat.

Les vidéos parodiques peuvent-elles réellement modifier l’image qu’un citoyen a d’un dirigeant ? 

Oui, tout à fait. L’individu, aliéné par la technologie, reconnaît et admire ce qui précisément le dépasse. Il est bluffé par une prouesse technique qu’il perçoit comme vraie, alors qu’elle ne l’est pas nécessairement. Mais peut-on vraiment dire que c’est faux ? Ce n’est pas tant une question de vérité ou de mensonge, mais plutôt d’aliénation. Dans nos sociétés démocratiques, nous en arrivons à réduire même la politique à des objets monnayables. Une prouesse technologique, lorsqu’elle est utilisée de manière habile, peut avoir un impact considérable sur des individus influençables, modifiables, et finalement exploités pour l’enrichissement de quelques-uns.

L’humour peut-il être un outil puissant pour influencer l’opinion publique ?

Oui, bien sûr. C’est pour cela que tout n’est peut-être pas négatif. L’humour nous sauve, car ce dont on rit, on en a moins peur. Je renvoie d’ailleurs à Le Nom de la rose d’Umberto Eco, qui a été magnifiquement adapté par Jean-Jacques Annaud. Le film s’éloigne du livre, mais il illustre bien cette idée : le rire libère. Comme le disait Rabelais, « le rire est le propre de l’homme », et c’est précisément cela qui nous sort de l’aliénation. C’est là toute l’ambivalence de l’humour : il peut être à la fois subversif et positif. Dans ces vidéos parodiques, Macron rit de lui-même, se moque de lui-même. Cette autodérision, tout en révélant une certaine suprématie technologique, pourrait bien être notre dernier outil réellement démocratique au sein de nos institutions.

Selon Emmanuel Macron, avec l’IA, on peut faire de très grandes choses : changer la santé, l’énergie, la vie de notre société. Êtes-vous d’accord avec ça ? 

Tout à fait. Je ne suis pas médecin, mais je pense que la médecine utilise, utilisera et doit utiliser de plus en plus l’IA dans sa pratique, pour le bien des patients et l’évolution de la science. En tant qu’outil non aliénant, c’est très positif. Mais si l’on confie entièrement les soins à l’IA, on retombe alors dans l’aliénation et la déshumanisation du corps malade. Cela reviendrait à rejeter le patient en tant qu’humain, comme on l’a tristement vu avec le COVID, lorsque des personnes âgées ont été abandonnées dans les homes, livrées à elles-mêmes. C’était une tragédie, un véritable crime contre l’humanité, et il faut se souvenir de ces dérives pour ne jamais perdre de vue l’humain derrière la technologie.

Pensez-vous que les jeunes générations sont plus réceptives à ce type de communication technologique ? 

Je pense que oui, les jeunes générations sont plus réceptives à ce type de communication technologique. C’est une question complexe, car les jeunes sont habitués à la technologie, contrairement à des personnes comme moi, de la vieille génération. Les jeunes s’y retrouvent, c’est certain, car ils savent comment l’utiliser, parfois même jusqu’au plagiat, ce qui est un effet pervers évident. 

Si l’IA offre des possibilités d’avancées significatives, son utilisation pour façonner l’image publique soulève des interrogations importantes : jusqu’où l’usage de cette technologie peut-il influencer la perception des dirigeants et de leurs messages ?

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *