Maja-Ajmia Zellama, une réalisatrice engagée qui brise les barrières
Parce qu’il ne correspondait pas aux attentes d’un regard occidental, son film a failli ne jamais voir le jour. Aujourd’hui, il brille à la Berlinale.

Maja-Ajmia Zellama, réalisatrice bruxelloise, s’est imposée sur la scène internationale avec son long-métrage Têtes brûlées, sélectionné au prestigieux Festival de Berlin. Un succès amplement mérité pour cette cinéaste, dont le parcours a été rythmé d’obstacles et de défis.
Un chemin parcouru de défis
C’est attablée au Koul, un café branché sur les rives du canal de Molenbeek, que Maja revient sur son itinéraire. Trouver sa voie n’a pas été immédiat : elle commence par des études en communication avant de s’essayer à la réalisation à l’IAD, puis d’intégrer Sint-Lukas. Très vite, une première difficulté se dresse sur son chemin : ne maîtrisant pas le néerlandais, elle doit apprendre la langue. Mais au-delà de cette barrière linguistique, elle se heurte à un obstacle encore plus grand : sa vision artistique entre en conflit avec celle de ses professeurs. Dès sa première année, elle est confrontée à la censure lorsqu’un de ses courts-métrages, abordant les violences policières, est remis en question.
Maja évoque également la relation compliquée qu’elle entretenait avec ses professeurs, dont l’attitude, particulièrement paternaliste envers les femmes, la mettait mal à l’aise. Ils les appelés par des surnoms comme ma pitchoune. Elle questionne aussi le vouvoiement à sens unique, instauré par les enseignants, qui renforçait, selon elle, un déséquilibre dans les rapports.
“on n’a pas besoin d’être malheureux pour faire de l’art”
Maja-Ajmia Zellama soulève un sujet rarement mis en lumière, la glorification de la souffrance dans le processus créatif. Elle remet en question cette idée selon laquelle la douleur serait une condition nécessaire à la création artistique.
Elle parle ouvertement de sa maladie mentale, le trouble bipolaire, et de son impact sur son travail. Sur ses réseaux sociaux, elle affirme que son objectif est que « la honte change de camp », refusant que les personnes atteintes de troubles mentaux ressentent encore de la gêne à ce sujet. En abordant ces thématiques, elle souhaite contribuer à démystifier les maladies mentales et offrir un soutien à celles et ceux qui en souffrent, comme elle aurait aimé en recevoir.
Elle témoigne également de son propre cheminement : “je pense que les gens ne se rendent pas compte à quel point il y a vraiment un lien entre ma maladie mentale et mon cinéma », confie-t-elle. Depuis qu’elle suit un traitement et qu’elle a adopté un mode de vie plus équilibré, elle se sent plus apaisée. « J’aime trop mon métier, j’aime trop ma passion, j’aime trop mon cinéma. Mais j’ai envie de le faire de la bonne manière. » Son message est clair : on n’a pas besoin d’être malheureux pour faire de l’art.
Un film sur le deuil… mais avant tout sur l’amour
Si Têtes brûlées explore le deuil, Maja-Ajmia réalise aujourd’hui que son film est avant tout une œuvre sur l’amour sous toutes ses formes. « Au départ, je disais que mon film parlait de deuil, mais maintenant, je me rends compte qu’il parle surtout d’amour », explique-t-elle.
Un amour qu’elle qualifie comme pluriel: l’amour familial, l’amour amical, l’amour filial, mais aussi l’amour spirituel. Elle sait que chaque spectateur percevra son film différemment, et cela ne la dérange pas : « Et je pense que tout le monde va pas comprendre mon film de la même manière et c’est pas grave.« Cette ouverture à l’interprétation est pour elle une force, une façon de laisser son œuvre résonner librement en fonction du vécu et de la sensibilité de chacun.

La reconnaissance après les obstacles
La sélection de Têtes brûlées au Festival de Berlin est pour Maja-Ajmia Zellama une forme de reconnaissance après de nombreuses incompréhensions et barrières. Pendant longtemps, son film a été perçu comme trop engagé, trop radical.
Elle évoque notamment les réticences liées à la présence de nombreuses femmes voilées dans son film. On lui a même affirmé que, pour cette raison, Têtes brûlées ne pourrait pas être distribué en France en raison du climat politique. On lui a également demandé de couper certaines scènes à dimension religieuse, une demande qu’elle a catégoriquement refusée : « On m’a dit de couper les scènes religieuses. Moi, je ne changeais pas d’avis. J’ai répondu que je préférais que personne ne voie mon film plutôt que d’accepter qu’on en retire des parties. »
Finalement, le Festival de Berlin a accueilli son film sans concessions, lui offrant la reconnaissance qu’elle espérait. “À Berlin, ils ont vu ce que j’avais envie que les gens voient.”
Malgré son ancrage dans un milieu maghrébin et musulman, Têtes brûlées porte un message universel. Pour Maja, le deuil est une expérience qui parle à tout le monde, quelle que soit son origine ou sa culture.