Environnement

Les chaînes de magasins bio : engagement ou argument marketing ?

Alors que la demande pour une alimentation plus saine et durable ne cesse d’augmenter, les chaînes de magasins bio se multiplient. Elles promettent un engagement sincère en faveur d’une consommation responsable, mais qu’en est-il réellement ? Sont-elles le moteur d’une transition écologique ou s’inscrivent-elles dans une logique purement commerciale ? Enquête au cœur de ces enseignes qui revendiquent un autre modèle alimentaire.

Dans les rayons de Barn, une chaîne de magasins bio bien implantée en Belgique, les étals regorgent de produits labellisés. Fruits et légumes de saison, vrac à volonté, communication soignée sur les engagements environnementaux : tout est pensé pour séduire les consommateurs. Mais derrière cette image verte et responsable, certains producteurs bio dénoncent des pratiques commerciales qui rappellent celles de la grande distribution classique. Alors, les chaînes bio sont-elles réellement porteuses d’un changement durable ou sont-elles le reflet d’une tendance opportuniste ?

The Barn
©Orian Thomaes, magasin The Barn de la place Fernand Coq

« Les gens ont souvent une image du bio à petite échelle, mais il faut savoir qu’il existe une production bio au niveau agroalimentaire », explique Renaud De Bruyn, ingénieur agronome et écoconseiller chez Ecoconso à Namur. 

En effet, la certification bio en Union européenne repose sur un cahier des charges précis, garantissant l’absence de pesticides et de produits chimiques. Certaines enseignes, comme Farm ou Barn, se contentent de respecter ces standards. Tandis que d’autres, à l’image de certaines coopératives, imposent des critères plus stricts, intégrant par exemple des exigences sur l’origine des produits ou le commerce équitable. 

Dans ce contexte, la question de l’engagement réel des chaînes de magasins bio se pose avec attention. 

« Chez Barn, on trouve de tout (bananes, oranges, tomates) tout le temps. Les produits sont proposés en vrac, ce qui est plus responsable que dans les supermarchés », souligne notre expert chez Ecoconso. 

Si les produits proposés respectent les normes en vigueur, leur impact écologique et social varie considérablement selon l’enseigne et ses choix de distribution.

Le label bio, inaccessible pour les petits producteurs 

Un autre paradoxe du bio industriel réside dans l’obtention du label. Si le logo européen garantit un certain niveau d’exigence, il représente aussi un coût non négligeable pour les producteurs.

« Le label bio, il faut le payer donc on s’éloigne des valeurs de base, certains petits producteurs locaux ne le paient pas car ils n’ont pas l’argent pour », explique Lloyd Hemptinne, responsable logistique de la coopérative Cabas. 

Résultat : de nombreux producteurs engagés dans une agriculture durable, respectueuse des sols et des saisons, ne peuvent pas se permettre cette certification. Paradoxalement, ces artisans du bio authentique se retrouvent exclus des grandes enseignes spécialisées, comme Farm et Barn, qui exigent des fournisseurs une certification officielle.

Cette situation pose la question de la véritable finalité du label. Plutôt qu’un outil garantissant une production éthique et écologique, il devient un outil marchand indispensable, accessible à ceux qui en ont les moyens, et excluant une partie des acteurs les plus vertueux du secteur.

Entre convictions et impératifs économiques

« La vraie question à se poser, ce n’est pas tant de savoir si ces magasins sont engagés ou opportunistes, mais plutôt de voir quelles relations ils entretiennent avec les agriculteurs bio », affirme Clara Angrisani spécialiste en agroécologie.

Cette nuance est essentielle : le bio n’est pas seulement une affaire de pratiques agricoles, mais aussi une question d’équité économique et de redistribution du pouvoir au sein de la filière. Or, selon plusieurs producteurs, certaines chaînes bio exercent une pression commerciale similaire à celle des grandes surfaces.

Un article publié dans la revue Tchak met en lumière le cri d’alerte de producteurs travaillant avec Farm et Barn. « Quand on nous demande d’être aussi compétitifs que des agriculteurs étrangers qui produisent à grande échelle, c’est impossible. Si on refuse de baisser nos prix, ils commandent moins, voire plus du tout », dénonce un agriculteur.

En conséquence, seuls les producteurs capables d’adopter une agriculture intensive parviennent à rester compétitifs, au détriment des exploitations à taille humaine.

« La vraie question à se poser, ce n’est pas tant de savoir si ces magasins sont engagés ou opportunistes, mais plutôt de voir quelles relations ils entretiennent avec les agriculteurs bio »

Clara Angrisani

L’économie sociale et solidaire 

Face à ces dérives, certains acteurs tentent de proposer un modèle économique plus équitable. C’est le cas de Cabas (Coopérative alimentaire belge des artisans solidaires), une coopérative qui place les producteurs au centre de son fonctionnement.

« On ne négocie jamais les prix avec nos fournisseurs. Notre objectif n’est pas de maximiser nos profits, mais d’assurer une juste rémunération pour les producteurs, c’est eux qui décident de leur prix », explique Lloyd.

Dans cette structure, les bénéfices sont directement réinvestis dans le projet, et chaque décision est prise collectivement. Cette approche s’inscrit dans l’économie sociale et solidaire, qui vise à concilier viabilité économique et impact social.

©Orian Thomaes, Charte de la coopérative Cabas affichée dans l’entrée de leur point de vente à Ixelles.

Clara Angrisani voit dans ce modèle une véritable transition vers une économie plus juste : « Si on veut un changement durable, il faut arrêter de penser en termes de marges et de rentabilité pure. Les magasins doivent être des partenaires des producteurs, et non des intermédiaires qui maximisent leurs profits. »

Cependant, cette alternative peine à s’imposer face à la puissance des chaînes bio ou des grands magasins, qui bénéficient d’une plus grande visibilité et de budgets conséquents.

Si le bio est censé être un modèle alternatif à l’agro-industrie, les grandes enseignes qui s’en revendiquent, comme Barn et Farm, restent en réalité ancrées dans le système capitaliste.

Un autre élément révélateur de ces contradictions est le cas du magasin The Barn où travaille Tom qui nous affirme que, contrairement à d’autres commerces bio qui peinent à survivre, The Barn n’est pas affecté par une perte mensuelle de 10 000 euros de produits. Cette rentabilité témoigne du fait que, malgré son discours engagé, l’enseigne repose bel et bien sur une stratégie commerciale optimisée et un modèle économique adapté aux exigences du marché de référence.

« On ne peut pas prétendre défendre un modèle alimentaire durable tout en appliquant les méthodes du capitalisme classique », insiste Clara Angrisani.

Cette contradiction met en lumière le rôle clé des consommateurs. En favorisant les circuits courts et les coopératives, ils peuvent encourager un modèle réellement durable, loin du bio de masse.

Un bio à défendre mais à redéfinir

Les chaînes de magasins bio oscillent entre engagement sincère et impératifs économiques. Si certaines initiatives permettent une meilleure accessibilité à une alimentation plus saine, d’autres pratiques rappellent celles de la grande distribution traditionnelle, au détriment des producteurs et de la cohérence écologique.

Face à ce constat, une seule certitude : le bio ne doit pas être réduit à un simple label, mais envisagé comme un projet de société, nécessitant une vigilance constante de la part des citoyens et des consommateurs.

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