Comment la violence à Anderlecht a changé de visage

Salim M, jeune du quartier des Goujons, décrit comment la criminalité est devenue une « normalité » pour les jeunes qui y grandissent, conditionnés dès leur plus jeune âge à cette violence, « Avant, un mort, c’était un choc. Maintenant, c’est un fait divers. »
Salim vient d’avoir 20 ans, il a grandi à Cureghem, dans un quartier connu pour ses problèmes de criminalité, situé non loin de Saint-Guidon et Clemenceau. C’est là-bas que des manifestations violentes ont eu lieu, en 2020, après le décès d’Adil Charrot dans un accident de la route alors qu’il était pourchassé par la police.
Il décrit son quartier comme un lieu sympathique et familial malgré le contexte criminel et se questionne sur le fait d’avoir grandi là-bas, où, pour eux, c’est un cadre normal.
L’escalade de la violence et l’impuissance de la police
Salim observe une escalade de la violence dans son quartier : « Avant, il y avait des bagarres à mains nues, maintenant, ils passent directement aux armes ». Plus jeune, il avoue avoir, lui aussi, participé à quelques incivilités et avoir côtoyé le milieu. Il y a été confronté à ce qu’il appelle « des pourris ». Des policiers ayant connaissance de ce qui se trame, de qui fait quoi, en laissant la situation pourrir.
L’efficacité des forces de l’ordre à faire régner l’ordre est fortement décriée dans le quartier, la présence policière, pourtant fortement accrue dans la commune, n’apporte pas pour autant un sentiment de sécurité. Salim parle, entre autres, des coups de feu à Clemenceau où une brigade stationnée à quelques mètres n’est pourtant pas intervenue.
« C’est un peu leur boulot de faire respecter la justice, de protéger les citoyens […] Mais on va dire que, dans certains quartiers, comme le mien, on se sent plus protégé entre nous que par un policier. »
Sauvé par les bancs de l’école
« C’est pas de notre faute d’être né ici, on aurait aussi aimé naître à Uccle ou à Woluwe-Saint-Lambert. Malheureusement, on est né à Anderlecht, à Cureghem et ça devrait être une force parce qu’on a grandi dans rien et on ne peut qu’évoluer. »
Aujourd’hui, Salim jongle entre ses études supérieures et son job étudiant, il témoigne du regard méfiant que l’on porte sur lui lorsqu’il mentionne d’où il vient : « Quand je dis que je suis d’Anderlecht, on me regarde bizarrement, comme si j’étais dangereux. »
Il souligne aussi que cette stigmatisation peut affecter les opportunités des jeunes du quartier et conditionner ceux-ci dans la violence : « Quand tu es dans un quartier et que tous tes amis volent, pour toi, ça va être normal de voler. C’est la même chose pour dealer, pour se battre. J’ai des amis qui auraient pu faire de grandes études, mais il suffit d’un seul faux pas pour qu’ils lâchent tout. »
C’est l’école qui lui a permis de s’émanciper de la brutalité du quartier : « J’ai beaucoup aimé cette école. Pour une fois, on sortait du quartier, on voyait des gens d’ailleurs. On a découvert une autre réalité : que voler, ce n’est pas normal et que se battre tous les jours, ce n’est pas normal non plus. Ce qui m’a sauvé, en particulier, c’est l’école et la religion. »
Les habitants, habitués au pire
« À Forest, déjà à l’époque, un jeune s’était fait tuer à la kalachnikov pour des règlements de compte, c’était fou. Tout le monde en parlait pendant des mois. Alors que maintenant ce qui se passe à Clemenceau, on va en parler aujourd’hui et puis, demain, il y aura quelque chose d’autre », déplore Salim. Depuis quelques semaines, les tirs sont devenus monnaie courante à Anderlecht. Cela fait plusieurs années que la situation se dégrade, et personne n’a été capable d’y remédier. Salim reste très pessimiste sur l’avenir de la commune.
